Tempête sur Ebay ou simple grain passager ?

Auteur : DAURIAC Eric
Publié le : 31/07/2008 31 juillet juil. 07 2008

Le Tribunal de Commerce de Paris a rendu trois décisions très médiatiques le 30 juin 2008. Ces décisions font droit aux demandes formées par Louis Vuitton Malletier et Christian Dior Couture à l’encontre d’eBay.

EBay doit s'assurer que son activité ne génère pas d’acte de contrefaçon1) La décision du 30 juin 2008 du Tribunal de Commerce de Paris:

« Attendu en effet que eBay a manqué à son obligation de s’assurer que son activité ne génère pas d’acte illicite, en l’espèce d’actes de contrefaçon, ….

Que eBay a également manqué à son obligation de vérifier que les vendeurs qui réalisent à titre habituel de nombreuses transactions sur ses sites sont dûment immatriculés auprès des administrations compétentes et, en France au registre du Commerce et des Sociétés ou au Répertoire des Métiers, ….

Que la responsabilité d'eBay est d'autant plus importante qu'il a délibérément refusé de mettre en place les mesures efficaces et appropriées pour lutter contre la contrefaçon, comme celles consistant à imposer aux vendeurs de fournir sur simple demande la facture d'achat ou un certificat d'authenticité des produits mis en vente… »

Il faut préciser que n’était pas en cause seulement des produits contrefaits mais aussi la mise en vente de produits distribués normalement seulement par des réseaux de distribution sélective validés par les sociétés propriétaires des marques Christian Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo.

En réparation du préjudice ainsi causé eBay a été condamné à payer à Louis Vuitton, 19 millions d’euros, à Christian Dior, 16 millions d’euros, et 3 millions d’euros aux sociétés de parfum. Cette décision est immédiatement exécutoire et elle est assortie d’une obligation de publication dans trois journaux et sur son site web pendant trois semaines sous astreinte de 500.000 €.


2) Une décision justifiée : eBay n’est pas un hébergeur

Les partisans de l’application du droit pur et dur sur Internet se félicitent de cette décision qui les conforte indubitablement dans l’idée que sur le réseau point de salut sans une application stricte et formelle du droit et dans le cas présent du droit français.

Tout d’abord le tribunal a considéré que eBay n’était pas un hébergeur et donc qu’il ne pouvait pas bénéficier de l’exonération de responsabilité dont ceux-ci bénéficient légalement.

Ainsi la responsabilité de droit commun peut alors s’appliquer et eBay est coupable a minima de complicité de contrefaçon en participant à la commercialisation des produits de contrefaçon à la fois de façon active comme courtier d’enchère et de façon passive en ne procédant pas aux vérifications de bases nécessaires sur la légalité des opérations de vente ayant lieu sur son site.

Cette décision paraît très saine car par quel montage absurde peut-on faire croire qu’eBay n’est qu’un hébergeur de sites web indépendants ?

Un hébergeur ne doit avoir qu’un rôle purement passif dans le stockage des données et c’est parce qu’il n’a que ce rôle passif qu’il bénéficie d’une protection contre les agissements illégaux des sites qu’il héberge.

Ce n’est évidemment pas l’attitude de eBay qui met en relation acheteurs et vendeurs, qui fait et qui vend de la publicité pour favoriser cette mise en relation. De plus fort eBay participe directement aux opérations de ventes par l’intermédiaire de sa filiale bancaire Paypal. Mais bien mieux elle participe aux bénéfices des ventes réalisées sur son site en prélevant une commission. Arguer d’un rôle d’hébergeur est une bien mauvaise défense…

Ebay a annoncé : « Les décisions d’aujourd’hui ne portent pas sur le combat contre la contrefaçon… Il s’agit en réalité d’une volonté de LVMH de protéger des pratiques commerciales excluant toute concurrence. Et ce, au détriment de la liberté de choix des consommateurs et des vendeurs. »

On ne peut que sourire quand les responsables de cette société soutiennent sans rire que cette décision est rendue au détriment des consommateurs. Depuis quand vendre des produits contrefaits ou tirer bénéfice de cette vente c’est défendre le consommateur ? En outre la légalité des réseaux de distribution sélective est depuis des lustres validée par les juridictions au principe avéré de l’existence d’un système économique fiable à la fois pour le consommateur et pour le producteur.


3) La décision n’est pas définitive : elle n’est pas conforme à la jurisprudence habituelle

Mais que les tenants du juridisme à la française ne se réjouissent pas trop vite.

Tout d’abord il s’agit d’une décision d’une juridiction de première instance dont eBay a fait appel.

Ensuite si cette décision se veut de principe il n’en demeure pas moins que d’autres tribunaux ont tranché de façon plus modérée ou carrément contraire.

Le 30 avril 2007 le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné un Internaute à 6 mois de prison ferme et 3.000 € d’amende plus 2.435 € de préjudice pour la vente de produits contrefaits.

Dans ce cas la responsabilité d’eBay n’avait pas été recherchée.

Dans une autre affaire le Tribunal d’Instance de Rennes a conclu, le 26 mars 2007, à une responsabilité résiduelle du courtier en ligne en retenant que eBay n’apporte pas la preuve de son respect à bonne date de son obligation d’information :

« La Société EBAY International AG convient être tenue d’une obligation d’information sur les risques de fraude et la sécurité des transactions à l’égard des personnes inscrites sur le site ebay.fr et au demeurant la présence de pages consacrées à ces domaines sur ledit site, établit au besoin l’existence de cette obligation à la charge de la Société EBAY International AG.

Or, il est constant que celui qui légalement ou contractuellement est tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de celle-ci.

En l’espèce, les documents qui sont produits à cet effet aux débats par la Société EBAY International AG sont bien postérieurs à la période de la transaction litigieuse en sorte qu’ils sont impropres à démontrer que l’information fournie à l’époque était complète et suffisante, soit de nature à prévenir le préjudice subi. »

Cette décision est loin d’avoir l’effet contraignant de celles rendues par le Tribunal de Commerce de Paris, puisque ici le tribunal considère que eBay a une seule obligation d’information à apporter à l’acheteur et au vendeur et ne faute que dans la démonstration de la preuve.

Et puis aujourd’hui eBay se félicite d’une décision rendue le 14 juillet par une juridiction américaine de première instance à New York, déboutant les bijoux Tiffany et considérant qu’eBay n’est pas responsable de la vente de faux bijoux sur sa plateforme.

Le juge américain va motiver sa décision par :

« Néanmoins, la loi est claire: Le propriétaire de la marque a la charge de la police de sa marque, et des sociétés comme eBay ne peuvent être tenues responsables des atteintes à cette marque seulement du fait qu’elles savaient qu’une telle infraction était potentiellement possible. »

Evidemment cette décision est prise sous l’empire de la loi américaine différente de la loi française. Notons par exemple que cette procédure a duré 4 ans et que le jugement fait 66 pages !

Mais il n’est pas sur qu’elle soit incompatible avec la décision des juges français. Sans doute ne doit-on pas faire de reproches à priori à eBay mais cette société se doit, nous semble-t-il, de s’assurer que les vendeurs utilisent son site en conformité avec la loi.

En France cela passe comme le suggère le Tribunal de Commerce par une vérification des vendeurs qui ne peuvent se targuer d’être, par leur nombreuses opérations, des vendeurs particuliers. Après tout les responsables de galeries commerciales ne font pas autre chose.

L’histoire est un éternel recommencement…





Cet article n'engage que son auteur.

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