La loi création et internet
Auteur : DAURIAC Eric
Publié le :
05/12/2008
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2008
Le 30 octobre les sénateurs ont voté le projet de loi « Création et Internet ». Même s’il ne s’agit pas d’un texte définitif, c'est l’occasion de faire un point sur l’application de la directive européenne du 22 mai 2001.
Téléchargement illégal et protection du droit d'auteurLe 30 octobre dernier les sénateurs ont voté le projet de loi « Création et Internet ». Même s’il ne s’agit pas d’un texte définitif, le projet revient devant l’assemblée nationale en janvier, l’occasion est belle de faire un point sur l’application de la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 (ce que la France aurait du faire depuis le 22 décembre 2002) et tordre le coût à certains mythes construits par des polémistes qui s’en donnent à cœur joie.
Il est sur que la conception des textes législatifs n’est pas malheureusement pas évidente pour le citoyen. Pour celui qui nous occupe il faut préciser que le travail du législateur est encadré par la directive européenne et qu’il se doit d’en respecter les prescriptions, ce qui laisse le plus souvent peu de marge, et pourtant…
Tout a commencé par la loi « DADVSI » (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) et en particulier son titre I, adoptée le 30 juin 2006 et publiée au Journal officiel du 3 août 2006. Cette loi prévoit pour ce qui nous intéresse, essentiellement des mesures techniques visant avant tout à adapter le droit aux pratiques.
C’est par exemple la possibilité offerte à la presse de reproduire une œuvre d’art dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette œuvre sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur, c’est encore la possibilité pour les fournisseurs d’accès à Internet de mettre chez eux en cache de façon temporaire pour en faciliter l’accès des œuvres, ou bien d’autoriser la mise à disposition de la version numérique de toute œuvre qui n’est plus disponible à la vente pour les bibliothèques (voir par exemple les nouveaux développement de la Bibliothèque Nationale de France).
La loi va encore créer une énième Autorité de régulation administrative chargée de surveiller la protection des droits d’auteurs sur le web (pour faire simple, ce qui n’est pas le cas du texte de la loi).
Mais cette loi voulait aussi combattre le piratage sur Internet, et sous la pression de lobbyings forcément bien intentionnés, elle instaure un nouveau régime de punition. Ainsi devient un délit passible de peines pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 300.000 € d’amende le fait :
« 1° D'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés ;
« 2° D'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné au 1°.
Est passible de 6 mois de prison et 30.000 € d’amende le fait diffuser un logiciel permettant de craquer les protections.
Soulignons qu’au contraire des affirmations des défenseurs de l’Internet libre ce texte qui comporte des sanctions pénales est forcément d’application stricte et que son effet sera restreint. En aucun cas les Tribunaux ne pourront condamner des Internautes qui utiliseront des logiciels classiques tels par exemple MOZILLA ou INTERNET EXPLORER, puisque selon le principe de l’application stricte des peines pénales seul les logiciels ne pouvant qu’être exclusivement utilisés à des fins de piratage entraîneront condamnation. C’est une bête application des principes de base du droit français que de le dire…
Le cas du pirate à proprement parler n’est pas pris en compte. Le législateur conscient de la réticence des Tribunaux à appliquer la sanction (3 ans, 300.000 euros d'amende, art. L.335-4 du CPI) prévue par le Code de la Propriété Intellectuelle au particulier téléchargeant dans son coin de la musique illégalement ou mettant à disposition des internautes ces fichiers (par les logiciels peer to peer) avait prévu une réponse plus réaliste transformant en contravention l’usage du logiciel par l’internaute.
Mais le Conseil Constitutionnel va recaler ce dispositif au motif savoureux que : « cette disposition méconnaît le principe d'égalité devant la loi pénale en instituant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du droit d'auteur ou des droits voisins, selon qu'elles utilisent un logiciel de pair à pair ou un autre moyen de communication électronique ».
Le ministre, Mme Albanel, qui ne se décourage pas facilement, a présentée en conseil des ministre le 18 juin 2008 un nouveau projet destiné à se substituer à l’article retoqué. Le 25 juin le projet est transmis au sénat et il est adopté le 30 octobre par celui-ci.
Et la polémique enfle !
Une pétition en ligne lancée par le magazine SVM recueille plusieurs dizaines de milliers de signatures, souvent de gens qui n’ont même pas lu le projet mais que toutes limitations du droit du téléchargement gratuit horripilent.
Mais c’est aussi la CNIL qui a émis un avis critique (avis du 29 avril 2008) à la fois sur la forme de la procédure des sanctions mais aussi sur le transfert au privé de fonctions régaliennes de surveillance. Elle regrette encore que la seule motivation officielle du gouvernement pour légiférer sur ce point reste la baisse du chiffre d’affaire du secteur des industries culturelles.
En revanche le projet a le soutien de la SACEM (lettre à ses adhérents du 15 octobre 2008), de 52 artistes français parmi les plus gros vendeurs de disques (journal du dimanche, 22 juin 2008), de 31 cinéastes (Le Monde, 9 juillet 2008).
De plus fort le Président du Conseil d’Administration de la SACEM, Laurent PETITGIRARD, interviewé sur LCI, a menacé au cas ou l’arsenal répressif était inapplicable alors il donnerai consigne de lancer des procédures par dizaine de milliers sur la base de la sanction actuelle (3 ans, 300.000 euros d'amende, art. L.335-4 du CPI). Espérons que nos députés tremblent devant cette intrusion du privé dans la sphère législative…
Mais alors ce projet de loi adopté par les sénateurs que dit-il d’insupportable ?
Tout d’abord il change le nom de l’autorité de régulation administrative de la loi DADVSI par « HAUTE AUTORITE POUR LA DIFFUSION DES ŒUVRES ET LA PROTECTION DES DROITS SUR INTERNET ». Nos énarques ont encore frappés. Pour faire simple appelons-la HADOPI…
Cette autorité aura deux fonctions : une surveillance du web (voir loi DADVSI) et l’application de la sanction graduée espérée par les défenseurs des revenus de nos artistes. Notons, cela à son importance, que nous sommes face à une institution administrative de l’état dont les responsables sont nommés directement ou indirectement par le gouvernement. Cette HADOPI possède en son sein une commission de protection des droits qui sera en charge d’appliquer les sanctions aux contrevenants. Elle aura à sa disposition une brigade d’agents assermentés pour faire constater les faits avec l’arsenal qui va bien.
Donc au prétexte de l’égalité du citoyen face à l’arsenal pénal (voir décision du Conseil Constitutionnel) on charge une autorité administrative à la fois de l’enquête et du rôle répressif. Cherchez l’erreur.
Encore plus fort, la loi prévoit une véritable milice privée (article L 331-22 du CPI) qui pourra faire une pré enquête et dont le résultat pourra entraîner la saisine de la commission.
Heureusement le tout est assorti d’une prescription brève de 6 mois (les mauvaises langues remarquerons que c’est trois fois supérieur à la prescription en matière de faute dans le cadre d’un contrat de travail).
La commission une fois saisie par les milices privées ou le procureur de la République (quand même) pourra envoyer un mel d’avertissement motivé à l’abonné contrevenant. En cas de renouvellement (récidive oserais-je dire…) dans les six mois la commission pourra adresser un nouveau mel d’avertissement. Mais ces avertissements ne devront pas divulguer les contenus en cause. Aucun recours n’est possible à ce stade de la procédure. Le message doit être clair : nous savons et vous devez savoir que nous savons.
Troisième étape : Envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Si les faits se renouvellent dans l’année qui suit : alors la sanction est notifiée à l’abonné. Cette sanction peut-être soit la suspension de son accès Internet (et seulement Internet, donc la téléphonie ou la télévision par Internet devraient en être exclues ?), soit une injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement.
Des ce stade deux réflexions importantes : Il va être difficile de motiver les deux premiers avertissements sans dévoiler le contenu des éléments téléchargés. Comme l’a justement souligné la CNIL dans son avis seule la lettre recommandée de la troisième étape est obligatoire. Il est à parier que les deux étapes précédentes vont élégamment disparaître ou plus grave seront réalisé par un système automatisé (vous avez dit Big Brother ?).
Le texte prévoit encore que la procédure doit être contradictoire exigence difficile à concilier avec l’interdiction de dévoiler les contenus et à aucun moment il n’est prévu d’entendre le coupable. En l’état ce texte n’est pas conforme aux droits de l’homme ! Les avocats vont s’en donner à cœur joie !
La possibilité d’un sursis en cas de recours est soumise à un décret à venir.
S’agissant d’un organe administratif la compétence devrait revenir aux juridictions administratives. Mais s’agissant des libertés individuelles cela devrait être du ressort des juridictions civiles. Le texte prévoit la compétence des juridictions judiciaires. La seule chose de sur c’est qu’une liberté individuelle ne devrait pas pouvoir être sanctionnée par l’administration.
La sanction pourra être publiée dans un journal aux frais du contrevenant et il fera l’objet d’un fichage, encore un.
Enfin et ce n’est pas la moindre des nouveautés l’abonné sera responsable des utilisateurs de son accès Internet sauf à démontrer qu’il a mis en place un dispositif de sécurité homologué ou que l’atteinte aux droits d’auteurs est le fait d’une personne qui n’est pas sous son autorité ou sa surveillance et qui utilise l’accès frauduleusement.
Certains vous diront que cela est une atteinte inadmissible au principe de la présomption d’innocence. C’est oublier que ce texte se veut une sanction de nature administrative et donc foin de ce beau principe. Il existe d’ailleurs un précédent avec les points du permis de conduire. Il est vrai que dans ce dernier cas c’est l’autorité judiciaire qui délivre la contravention (encore que les radars automatiques…).
Le problème risque de devenir insoluble quand il s’agira de l’accès Internet d’une entreprise. Celle-ci devra forcément surveiller les connexions de son personnel ce qui est formellement proscrit en l’état de la jurisprudence des Conseils de Prud’hommes ! A moins que les dispositifs de sécurité permettent de se couvrir.
Mais le feuilleton n’est pas fini et une belle passe d’armes a eu lieu devant l’Europe entière conviée à nos déchirements!
Certains députés ont suivis les conseils de Maître « Eolas » sur son blog (La loi DADVSI commentée, 7 août 2006) :
« Les adversaires des mesures techniques de protection doivent diriger leurs efforts vers la commission européenne. »
Et ils ont saisi le parlement européen d’un amendement dans le cadre du paquet TELECOM adopté par le parlement le 24 septembre 2008 :
« En vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire en application notamment de l'article 11 de la charte des droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement. »
Rappelons tout d’abord que cette décision n’est pas opposable aux états. Pour cela elle doit être reprise par la Commission Européenne mais surtout par le Conseil des Ministres de la Communauté. Or la Commission Européenne soutient cet amendement et le Conseil appelé à en connaître est présidé par … notre Président de la République !
Qu’en dire ? Mme ALBANEL soutient qu’il n’y a pas contradiction entre la loi et l’amendement puisque la suspension d’un accès Internet, selon elle, ne peut être considéré comme un droit ou une liberté fondamentale.
Dont acte, il appartient à l’état français de défendre ce point de vue devant le Conseil comme la Commission Européenne le demande expressément dans sa décision :
« La Commission est consciente de l’importance politique qu’à ce sujet en France, où
une loi en cours d’élaboration propose d’établir une nouvelle autorité nationale de
l’Internet qui pourrait jouer un rôle en matière de surveillance et, éventuellement, de
restriction du trafic Internet en France afin de lutter contre les atteintes aux droits de
propriété intellectuelle. La Commission européenne invite le gouvernement français
à exposer son point de vue sur l’amendement 138 aux ministres des 26 autres États
membres. Le «paquet télécoms» faisant l’objet d’une procédure de codécision,
l’accord du Parlement et du Conseil est nécessaire avant qu'un amendement puisse
acquérir force de loi.
La Commission est prête à agir en tant que médiatrice dans ce débat une fois que le
Conseil aura également fixé sa position en la matière. »
Et à la surprise des plus naïfs le Conseil des Ministres de la Communauté a rejeté cet amendement le 27 novembre.
Partie remise ?
Comme prévu, Guy BONO redéposera avec Daniel COHN BENDIT cet amendement en deuxième lecture au Parlement européen en 2009. Le bureau de Guy BONO indique d’ailleurs que si la France n'avait pas compris la vraie portée de ce texte, la version II serait nettement plus percutante.
Cet article n'engage que son auteur.
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