Le patrimoine d'affectation ou l'EIRL, la loi adoptée le 5 mai 2010

Le patrimoine d'affectation ou l'EIRL, la loi adoptée le 5 mai 2010

Auteur : DAURIAC Eric
Publié le : 21/05/2010 21 mai mai 05 2010

Le nouveau dispositif adopté le 5 mai 2010 permet à l'entrepreneur de déclarer la liste des biens qu'il affecte à son activité professionnelle et de distinguer ce patrimoine de son patrimoine personnel sans création d’une personne morale.

Distinction du patrimoine personnel et du patrimoine professionnel de l'entrepreneur




Les raisons d’un texte novateur

Les entrepreneurs en nom propre représentent à ce jour plus de 1,4 million de chefs d’entreprise, soit près de la moitié de l’ensemble des entreprises existantes en France. Plus de la moitié des entreprises créées en 2008 l’ont été en nom propre. Plus fort on compte, en 2009, 263 374 inscriptions pour le seul nouveau régime de l’auto-entrepreneur. Il s’agit de très petites entreprises (75 % n’ont aucun salarié). Les créateurs choisissent ce régime en raison de son extrême simplicité. Les autres modes d’exercice permettant de restreindre les risques encourus par les entrepreneurs individuels sur leur patrimoine ne répondent pas à ce souci.

Or si l’exercice d’une activité économique en nom propre reste à ce jour le mode d’exercice privilégié, des petits entrepreneurs, ces derniers et leur famille sont placés dans une situation de risque en cas d’échec professionnel : l’entrepreneur répond de ses engagements professionnels sur la totalité de son patrimoine, qu’il ait été ou non affecté à l’entreprise, en raison de la confusion opérée entre le patrimoine de l’entreprise et le patrimoine personnel de l’entrepreneur. L’unicité du patrimoine posée par le Code civil (article 2284 du Code civil) demeure le principe.


Les dispositifs préexistants

Il existe à ce jour deux principaux dispositifs permettant de limiter la responsabilité d’un entrepreneur individuel, le passage à la société unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) ou la déclaration d’insaisissabilité permettant à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables certains biens de son patrimoine personnel.

L’EURL est une société et les obligations qui en découlent (tenue d’un registre des décisions, gestion comptable et financière) constituent un obstacle pas seulement psychologique, mais surtout pratique et financier.

L’entrepreneur en nom propre peut déclarer insaisissables ses droits sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale (depuis la loi du 1er août 2003 sur l’initiative économique) et de manière plus générale ses droits sur tout bien foncier bâti ou non bâti et non affecté à son usage professionnel (depuis la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie). Mais cette mesure ne connaît pas un grand succès. Les chiffres donnés par le gouvernement font état d’environ 10.000 déclarations en 2009. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette situation : le formalisme de la déclaration et son coût, sa limitation au patrimoine immobilier, les réserves des banques.


Le patrimoine d’affectation – Le mécanisme

Le nouveau dispositif adopté par le sénat le 5 mai 2010 permet à l'entrepreneur de déclarer, au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers selon le cas, la liste des biens inventoriés et évalués, qu'il affecte à son activité professionnelle et de distinguer ce patrimoine de son patrimoine personnel sans création d’une personne morale. Tout type de biens immobiliers ou mobiliers sont concernés pour peu qu’ils soient nécessaires à l’exploitation.

Les biens immobiliers devront faire l’objet d’une mesure publicitaire spécifique par acte notarié.

L’entrepreneur doit insérer, en annexe de la déclaration constitutive du patrimoine affecté, un rapport d'évaluation établi par un commissaire aux apports (commissaire aux comptes, association comptable agrée, expert-comptable et notaire pour l’immobilier) pour tout élément d'actif d'une valeur déclarée supérieure à un seuil à fixer par voie réglementaire. Une fausse déclaration de valeur fait perdre l’avantage du patrimoine affecté à hauteur de la fausse déclaration pendant 5 ans. Il en est de même en l’absence de rapport d’évaluation si celui-ci est obligatoire.

L’entrepreneur devra faire figurer sur son papier en tête la mention : « entrepreneur individuel à responsabilité limitée ».

Lorsque tout ou partie des biens affectés sont des biens communs ou indivis, l'entrepreneur individuel justifie de l'accord exprès de son conjoint ou de ses coïndivisaires et de leur information préalable sur les droits des créanciers.

Normalement, la déclaration ne concerne que les créances postérieures à celle-ci. Cependant, l’entrepreneur dispose de la possibilité de la rendre opposable aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement à son dépôt à la condition qu’il le mentionne dans la déclaration d’affectation et en informe les créanciers dans des conditions à fixer par voie réglementaire. Dans ce cas, les créanciers concernés peuvent former opposition à ce que la déclaration leur soit opposable. Une décision de justice rejette l’opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties, si l’entrepreneur individuel en offre et si elles sont jugées suffisantes. À défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées, la déclaration est inopposable aux créanciers dont l’opposition a été admise. Le juge aura-t-il le pouvoir dans ce cadre de fixer le montant de la créance ? Cette question reste en suspend. L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée doit tenir une comptabilité et déposer des comptes annuels au registre ou il aura déposé sa déclaration.


Le patrimoine d’affectation – Les conséquences

L'entrepreneur reste propriétaire des deux patrimoines et la déclaration d'affectation n'entraîne pas la création d'une personne morale. Le principe général du dispositif est que le patrimoine personnel est le gage des créanciers personnels de l'entrepreneur, tandis que le patrimoine professionnel constitue le gage de ses créanciers professionnels.

Cette réforme permet donc de protéger le patrimoine personnel de l'entrepreneur en cas de difficultés. Sauf exceptions, la déclaration d'affectation ne produit d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à cette déclaration. En matière de régime fiscal, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée a le choix d'opter soit pour l'impôt sur le revenu, soit pour l'impôt sur les sociétés. Le retour du bien dans le patrimoine privé entraînera-t-il une taxation des plus values professionnelles ? Si tel est le cas, cela pourrait pénaliser le mécanisme.

Si l’entrepreneur fraude en augmentant la valeur de son patrimoine professionnel, il perdra le bénéfice de cette protection. Cependant, rien n’est prévu s’il limite le gage de ses créanciers professionnels en minimisant celui-ci.


Vous l’avez remarqué cette réforme reste suspendue à un certain nombre de décrets à venir. Espérons qu’il ne s’agira pas d’une nouvelle arlésienne…





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © laurent hamels

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